Petits essais en forme de notules

Malraux définit le lecteur par vocation comme celui qui jouit de «la faculté d'éprouver comme présents les chefs-d'oeuvre du passé»...



Je souscris à cette définition et m'attacherai à présenter ici quelques réflexions au fil de mes lectures qui suivent rarement l'actualité littéraire, pour le plaisir de partager découvertes ou, éventuellement, récriminations... . Quoique, la vie étant bien courte, il vaut mieux, dans la mesure du possible, écarter le désagréable lorsque cela, comme il arrive trop rarement, est en notre pouvoir et vouloir.






mardi 17 janvier 2012

Les Belles-soeurs débarquent à Paris

Je ne connais pas la hiérarchie des théâtres parisiens! Ne me fustigez donc pas si je vous envoie dans un bouge mal famé!  Je suis assez renseignée dans plusieurs domaines concernant la vie française, mais je ne peux pas tout savoir!

Je voulais tout de même vous signaler que, le 8 mars, Journée internationale de la femme, s'ouvrira à Paris, une série de représentations de la comédie musicale tirée des Belles-soeurs de Michel Tremblay.  Le synopsis présenté par le théâtre ne dit pas à quel point cette oeuvre a fait date en 1968 : en pleine mouvance de cette affirmation nationale qui devait conduire aux événements dramatiques de 1970 puis à l'élection du parti québécois en 1976, cette première oeuvre de Tremblay a tout d'abord été conspuée par la critique montréalaise, car l'auteur mettant en scène des femmes de l'est de Montréal utilisait le joual, cette forme d'argot québécois composé de termes empuntés à l'anglais et d'incorrections syntaxiques. (Le mot «joual» est d'ailleurs une déformation du terme «cheval».)
image:michel_tremblay.jpg
Michel Tremblay
Je ne sais pas dans quelle mesure on aura remanié le texte qui demeure tout de même, me semble-t-il, très accessible.  Comme je vous préviens longtemps à l'avance, vous pouvez peut-être trouver à la bibliothèque ou en librairie -il y a une librairie du Québec à Paris- le texte pour vous faire une idée.  Je n'ai pas vu la version «comédie musicale» à Montréal, mais on en a dit le pl us grand bien.  Demeure en tout cas le fait que cette pièce de théâtre a fait entrer la deamaturgie québécoise dans la modernité. 

Vous m'en donnerez des nouvelles si vous décidez de vous aventurer!!!  Pourquoi ne pas en faire un rendez-vous de «copinautes» selon le néologisme de Michelaise? Je vous assure que je serai présente en esprit!

P.S. La page d'accueil de la librairie du Québec à Paris s'ouvre sur une sélection de bandes dessinées québécoises, mais je jure devant tous les Dieux ou les diables, si vous préférez, que je n'y suis pour rien!!!

Norma et la BD

À la suite de plusieurs commentaires de lecteurs, Norma, qui éprouve elle-même quelques difficultés avec la bande dessinée a fait des recherches pour nous expliquer ce qui occasionne cette désaffection à l'endroit du neuvième art.

Je vous invite donc à faire un petit détour par le billet de Norma !

dimanche 15 janvier 2012

J'ai vu Tintin! (2)







Veuillez excuser le délai entre les deux parutions... Les aléas d'une existence palpitante ;0)

Mon premier texte mettait de l’avant, on s’en souviendra, ce que Steven Spielberg et Peter Jackson ont retenu des albums d’Hergé, à savoir les caractéristiques des personnages principaux et l’essentiel des séquences narratives provenant des trois albums à partir desquels le scénario a été élaboré.
Le présent billet portera davantage sur ce qui éloigne l’œuvre des cinéastes de celle du bédéiste.  Les appellations retenues pour désigner les deux catégories de créateurs sont déjà un indice de ce qui sera développé puisque, justement, ce sont en grande partie les différences entre les deux media utilisés qui expliqueront les divergences.

Une des scènes d'ouverture du film : Tintin découvrant la maquette de La Licorne sur le marché aux puces de Bruxelles. Le brocanteur, quoique fidèle au personnage de Hergé, ressemble étrangement à Steven Spielberg.... (2010 Columbia Pictures Industries, Inc. and Paramount Pictures)
Image retenue par l'article du Figaro  (1) Tintin au marché aux puces

Dans les commentaires qui suivaient mon premier texte, Michelaise nous disait avoir des réserves à l’endroit du 3D.  Au Québec, nous avons la possibilité de voir le film en version 3D ou non, mais il me semble que la principale dissemblance entre les deux variétés d’images est ailleurs.  En comparant quelques planches et certaines séquences, les éléments qui ressortent le plus sont au nombre de trois : la présence répétée de gros plans; le positionnement de l’œil du spectateur ou du lecteur par rapport à l’action représentée et surtout, surtout, la présence de la lumière. Est-ce dû à la période de production ou aux choix esthétiques des deux artistes? Un peu des deux probablement.  Je n’épuiserai certainement pas ici la question, mais je vous lance quelques pistes de réflexion qui participent de la mienne sur le fabuleux monde des images.

Les gros plans

J’ai toujours quelques Tintin   à portée de main et le nouveau petit format présenté il y a quelques années rend leur transport encore plus facile pour le voyage.  J'avoue toutefois que le visionnement du film et les lectures complémentaires qu'il a suscitées m'invitent à regarder différemment les planches de manière à découvrir les choix graphiques qui ont donné naissance au style d'Hergé.  Il faudra donc que je reprenne les albums un par un pour les examiner plus à loisir de ce point de vue. Je dirais tout de même que, malgré de vagues réminiscences de quelques gros plans, ils m'apparaissent comme n'étant guère nombreux dans les vingt-deux aventures de Tintin, et cela me semble s'expliquer par au moins deux raisons : sur le plan graphique, la forme des têtes des personnages de même que les aplats de couleur auxquels Hergé a été fidèle à partir du moment où Casterman lui a imposé l’abandon du noir et blanc n’invitaient pas à l’utilisation de plans rapprochés sur le visage des personnages, car cela n’aurait eu aucun intérêt. De plus, Hergé subordonnait toujours son dessin à l’impératif de la clarté de l’histoire à raconter. La simple recherche esthétique n’était donc pas inscrite à son programme. S'il se permettait quelque complaisance, c'était plutôt dans le dessin des voitures et des avions pour lesquelles il avait une réelle passion et dont des modèles précis apparaissent dans chaque album de Tintin.

J’avoue donc avoir  été particulièrement éblouie par les séquences du film de Spielberg où l’on voit les personnages en gros plan, tout particulièrement Tintin et Milou, car je suis un peu fâchée avec les yeux bleus du capitaine Haddock qui sont noirs un point c’est tout. Vous serez, par exemple, attentifs à ce plan où Tintin observe avec sa lampe de poche un modèle de la Licorne : on combine ici ombres et lumière et gros plan pour créer de superbes images.  Je salue tout particulièrement l’art des informaticiens-dessinateurs de WETA qui ont eu le souci de reproduire même le léger duvet blond que l’on retrouve sur les joues de l’intemporel jouvenceau qu’est Tintin! Au-delà des critiques sur le trop jeune âge du personnage, on peut tout de même reconnaître la magie de la technique comme on admirerait le rendu d’un tableau.
Un second visionnement, que je me promets pour bientôt, me permettrait d’ajouter d’autres exemples, mais, pour le moment, je vous invite à examiner une autre variante existant entre film et albums.

La diversité des plans.

À défaut d’avoir inventé la ligne claire, Hergé en est très certainement le principal représentant. Comme l’indique l’article de Wikipédia auquel vous pouvez vous reporter, la ligne claire implique certains choix esthétiques comme l’utilisation systématique des contours noirs ou les aplats de couleur qui rendent les bandes dessinées des tenants de cette esthétique immédiatement identifiables. 

D’autres choix se manifestent également non plus au niveau de la case, mais à celui de la planche.  L’article de Wikipédia parle de « l’unité et de la continuité des plans » que l’on peut observer dans cette planche du Crabe aux pinces d’or.  Cette planche a été placée, dans le film, à la suite des planches qui suivent le retour de Tintin du marché aux puces dans Le secret de la Licorne.  Si l’on avait voulu filmer cette scène à l'identique, il aurait fallu une caméra à l’épaule suivant le personnage tout en tentant de conserver toujours le même type de plan, la même orientation et la même hauteur par rapport au personnage filmé. Mon vocabulaire cinématographique comportant des lacunes, il sera plus simple de vous montrer la différence entre une planche de Tintin et celle d’une bande dessinée contemporaine : L’Angélus de Giroud et Homs.








Je ne parviens pas à mettre les deux planches côte à côte, mais je compte sur votre capacité d'observation pour remarquer combien le langage graphique s’est  complexifié en quelques décennies : le quasi gaufrier (2) d’Hergé a fait place à des cases de toutes les grandeurs chez Homs; toujours dans la planche de L'Angélus, les plans sont nombreux et divers, du gros plan des deux cases de transition à la plongée de la toute première case en passant par le plan improbable et curieux, pourtant positionné au centre de la page, qui implique que l’œil ou la caméra soit à l’intérieur du véhicule qui amènera le couple et l’enfant blessé vers l’hôpital.  À cette variété de plans s’ajoutent les variations de la couleur, le sépia retenu pour les premières cases renvoyant au passé du protagoniste alors que son présent sera plutôt gris comme l’est effectivement la couleur des jours de ce terne voyageur de commerce.

La juxtaposition de deux planches produites à plus de soixante ans d’intervalle montre donc à quel point le langage du neuvième art a évolué, les jeunes dessinateurs d'aujourd'hui ayant probablement intégré tout un nouveau ocabulaire visuel.  En ce qui concerne les aventures cinématographiques de Tintin recréées par Spielberg, s’ajoute encore à cette évolution de la représentation le passage à un autre medium ayant ses propres exigences.

Si l’on pouvait mettre en parallèle les planches montrant l’appartement de Tintin et la représentation du même appartement dans le film, on constaterait de surcroît à quel point les images d’Hergé sont métonymiques, un seul objet servant à représenter toute une pièce.  Lorsque Tintin entre dans son bureau, un coin de ce meuble sert seul à évoquer le passage du salon à cette pièce qui, dans le film, prend une dimension que n’avaient jamais imaginée les lecteurs de Tintin.  Le  bureau cinématographique de Tintin est en effet surchargé d’objets, presque de façon caricaturale comme dans cette vitrine où s’alignent des machines à écrire identiques.  Il fallait certes « habiter » l’image cinématographique, mais peut-être y a-t-il eu ici une certaine exagération. 

Pour en revenir à la variété des mouvements et des positionnements de la caméra, vous serez attentifs à certaines séquences qui sont d’une beauté à couper le souffle et que Spielberg n’aurait pu réaliser autrement qu’en utilisant le 3D.  Je pense à cette séquence où Tintin et Haddock parviennent, à dos de chameau, au bord d’une dune de sable très élevée et découvre la ville de Bagghar.  On a alors l’impression que la caméra est attachée aux ailes d’un aigle et plonge littéralement du bord de la dune pour nous faire découvrir cette ville où Sakharine projette de s’emparer du troisième modèle de la Licorne pour enfin posséder les trois parchemins qui le mèneront au trésor de Rackham. À l’heure actuelle, ce sont surtout quelques « techno-freaks » qui s’amusent avec le 3D, mais lorsque cette technique aura évolué et qu’elle sera à la portée d’un plus grand nombre de cinéastes, nous n’avons pas fini d’être étonnés…


Ombres et lumière

Je serai ici plus brève, car je ne voudrais pas perdre un lectorat qui n’est pas d’emblée conquis par rapport à la BD ou au 3D… L’apport le plus important du film sur le plan visuel est très certainement l’introduction de la lumière qui engendre des ombres… Hergé était catégoriquement opposé à la présence d’ombres dans ses dessins malgré les remarques insistantes d’un de ses collaborateurs E.P. Jacobs (Blake et Mortimer).  Pour lui, seul le trait importait et même la couleur lui semblait un ajout quasi superflue au point qu'il se fit longuement tirer l'oreille par Louis Casterman au début des années quarante, car il était impératif pour l'éditeur de présenter les albums de Tintin en couleurs de manière à pouvoir faire face à la concurrence.

Qu’aurait-il donc pensé de cet ajout dans le film de Spielberg?  Car le cinéaste a vraiment joué des contrastes lumineux, multipliant les scènes qui se déroulent la nuit ou le soir.  Encore là, je suis personnellement touchée par cet ajout même s’il ne respecte pas le travail initial du père de Tintin.  Peut-être faut-il ajouter que Georges Rémi était né en 1907, sept ans, donc, après l’invention du cinéma alors que Picasso devait dissimuler ses Demoiselles d’Avignon que même ses amis peintres avaient décriées.  En 1982, peu avant sa mort, Hergé avait toutefois reconnu le génie de Spielberg au point d'accepter de lui confier les droits de ses oeuvres, ce qu'il ne faisait pas volontiers et ce que font encore moins facilement ses héritiers.  Il y a donc à parier qu'il aurait certainement été saisi par le résultat.

Le regard se forge et se forme très tôt dans l’existence et, à moins de souffrir d’adultisme (voir l'article de Norma), on ne cessera de l’aiguiser.  Mais le regard que nous portons sur les choses dépend aussi de ce qu’il a eu comme nourriture.  Or, le monde des images est complexe, ondoyant et changeant.  En constante évolution.  Et je suis toujours surprise qu’en raison de la pléthore d’images de toutes sortes qui nous accablent ou nous réjouissent en agissant donc fortement et de façon immédiate sur la sensibilité, on n’accorde pas davantage de temps à la formation de l’œil à l’école.

(1) L'article du Figaro raconte par le menu toutes les péripéties qui se sont produites entre la rencontre de Spielberg et de Tintin et la réalisation du film; plus de vingt-cinq ans se sont écoulés entre le moment initial et le premier tournage en motion capture avec les comédiens en 2009.


(2) La notion de «gaufrier» renvoie aux planches qui sont composées d'un nombre égal de cases sur chaque ligne, ces cases devenant ainsi d'égale grandeur.